Chapitre 1
Cet été-là, la chaleur était une fois de plus caniculaire dans les locaux du collège Jean Moulin, désertés par ses élèves et les professeurs.
Pas un souffle d'air, une moiteur extrême, le silence : une impression de jour d'après... (Emmanuelle, Bx) le tour de France, où plus personne n'a envie de pédaler.
Seul à son bureau, le regard perdu, il a du mal à respirer...(Yves, Bx)
Sur l'armoire au fond de la classe, la plante verte qu'il avait posée à la rentrée précédente semble le regarder. Elle aussi souffre de la canicule, de l'absence, de la solitude. (Micheline.Bx)
Il sourit faiblement . Elle a été le témoin silencieux et attentif de cette année scolaire. Bien placée, en hauteur, rien ne lui a échappé : ses mouvements, à lui, ses déplacements, ses brusques sautes d'humeur, ses agacements imperceptibles qu'elle seule savait percer à jour, détectés dans un léger assombrissement de ses yeux , ses envies de meurtre parfois , ce brusque élan de ses mains vers l'avant pour saisir ce cou, le secouer, le serrer jusqu'à ce que, enfin, le silence règne ; geste immédiatement contrôlé et transformé en vaste et ample mouvement qui trompait son monde ... Pas elle. (Sylvie, Bx)
Non, pas elle ! Elle le connaissait si bien. Il l'avait parfois négligée, plus un sourire, pas un mot pendant des jours. Elle aussi, elle avait eu envie de s'enrouler autour de son cou mince et de serrer, de serrer encore plus fort... (Emmanuelle, Bx)
Mais il fallait se maîtriser. A part elle, personne ne savait . Personne . A part...
Après tout, ce n'était pas sa faute, à elle, si c'était lui qui avait été choisi... Peu importe finalement qu'il fut beau, laid, intelligent, bête. Elle n'avait qu'à remplir son rôle, il ne fallait pas poser de questions. Se poser des questions . Est-ce qu'une plante verte est sensée se poser des questions ? (Manoue, Bx)
Chapitre 2
Le souvenir de leur dernière dispute, de leur dernière lutte, le submergea. Terrible corps à corps. D'amour et de haine. De vie et de mort. Après lequel il avait pris sa décision.
Il desserra ses poings et ses mâchoires et chassa les images parasites. Je dois penser à ce que je suis venu faire, à ce que j'ai mentalement répété des dizaines de fois.
Il regarde sa montre. Il regarde la plante. Il sourit. Il ouvre son vieux cartable de cuir, avec tendresse. (Micheline, Bx)
Il en sort un vieux compas rouillé... (Emmanuelle, Bx) le caresse délicatement. Il lui est précieux comme un vieux compagon de route. Combien de chemins imaginaires a-t-il tracé de sa pointe aiguisée ? D'intersections, de fausses issues qui le ramenaient toujours au même point de départ. Il se souvient : son père le lui avait offert alors qu'il avait à peine six ans. Heureux de ce cadeau qui le hissait au rang de petit homme, il avait commencé par graver son prénom dans le tronc du saule pleureur du jardin. Cela lui avait pris des heures.
Son père ... un homme peu bavard, caché derrière des sourcils broussailleux qui semblaient s'animer dès qu'il était en colère. C'est à dire souvent. (Sylvie, Bx)
Un à un il sort ensuite les petits flacons soigneusement emballés, déroule les papiers de couleurs qui les protège et les identifie, dépose aussi sur le bureau le vieux traité de pharmacopée qu'il a lu et relu. Un mouvement sur la passerelle métallique lui fait lever la tête; un chat noir dérange le calme de l'après midi (Annie, Angoulême)
Un chat noir ! Il pense, allons, Jean-Marie, ce n'est pas le moment de céder à de vieilles superstitions. Il sourit et ajoute à mi-voix en se moquant de lui-même, c'est bon, il est parti sur la droite. Cependant, il avale sa salive et doit résister à la tentation de boire une gorgée d'alcool à la bouteille qu'il vient de retirer de son cartable.
Et si le chat avait interrompu sa sieste parce que quelqu'un l'avait dérangé ? (Micheline, Bx)
L'angoisse, soudain, crispe sa gorge, accélère les battements de son coeur, recouvre son corps d'une sueur qui semble glacée. L'air chaud enserre la peau de son visage, dessèche ses narines. Il tente de se rassurer au contact du verre encore frais de la bouteille amicale, puis passe ses mains moites de chaque côté de ses mâchoires et de son menton. Ce matin, il a rasé sa barbe et coupé sa moustache. Il a aimé le sentiment de libération, ce retour à l'innocence.
L'oreille aux aguets, tout en jetant des regards inquiets en direction de la porte de la salle de classe qu'il a laissée ouverte, il sort maintenant le cutter tout neuf qu'il a acheté la veille et le range sur le bureau, parallèlement à son compas. D'une main fébrile, il dégage son cou opressé du col de la chemisette légère qu'il a revêtue après le déjeuner. Elle me l'avait offerte l'été dernier, pendant les soldes. D'ailleurs, elle achetait tous nos vêtements à ces moments-là, ainsi que la plupart des objets domestiques. Une vraie fée du logis ! Une experte en économie domestique ! Non, ne pas se laisser gagner par la rancoeur. (Muguette) Il règlerait cela plus tard... (Manou, Bbzx)
La vue de son vieux compas rouillé efface l'amertume qui avait subitement enlaidi son nouveau visage. Cher vieux grigri, c'est toi qui m'as donné la bosse des maths ! Trente ans, déjà, que tu es mon plus fidèle compagnon. (Micheline, Bbzx)
Soudain, une pensée folle lui traversa l'esprit : et s'il plantait son compas dans les feuilles de la plante verte ? Faire pleins de petits trous, partout... puis il couperait la tige avec le cutter. Elle ne s'en remettrait pas... Mais non, c'était impossible, il le savait bien ! Il devenait fou, Je deviens fou ! Il fallait se concentrer sur la Mission. (Manou, Bbzx)
Chapitre 3
Elle rentre, heureuse, de six jours de thalasso à Chatelaillon ; comme d'habitude , il lui avait dit "Mais pourquoi partir ? Tu n'es pas bien à Barbezieux? C'est haïssable cette manie de toujours vouloir aller voir ailleurs" et maintenant elle retrouve une maison vide, impeccablement rangée comme s'il n' avait plus habité là pendant cette semaine. Elle connaît trop bien sa manière de se terrer dans son bureau entre ses copies et quelques objets inutiles qu'il préserve jalousement de tout époussetage.
En poussant la porte elle se dit que c'est peut-être le moment. (Annie, Angoulême)
Elle est rentrée un jour plus tôt que prévu. En accord avec son corps, de la tête aux pieds. Sentiment jubilatoire de s'être retrouvée, body and soul. D'être elle-même. D'être une.
Je me sens prête à exécuter la Mission. Oui, c'est le moment. (Micky, Bbzx)
Elle jette un regard rapide dans les pièces de la maison pour bien s'assurer de son absence, soupire d'agacement devant ce rangement sans âme qui la dépossède brusquement de sa maison et dirige ses pas vers le bureau dans lequel il a pris l'habitude de s'enterrer depuis de bien nombreuses années. Trop.
Lorsqu'elle ouvre la porte, son bien-être disparaît brusquement, chassé par une bouffée de colère qu'elle a peine à maîtriser. Un léger sourire empreint de détermination et de cruauté , qu'il ne lui a certainement jamais vu pose comme un masque sur son visage.
Un nouveau regard : elle sait ce qu'elle cherche . Aujourd'hui, il n'est plus temps de pleurer, de supplier, de quémander... un peu de présence, de l'attention, un regard, un sourire, un geste tendre. En est-il d'ailleurs capable ? Elle s'ébroue. Peu importe .
Ses yeux s'arrêtent avec satisfaction au fond de la pièce. Elle est là. Comment la rater, d'ailleurs ? Elle prend toute la largeur du mur, grimpe vers le plafond et dégouline vers la fenêtre à la recherche avide de lumière. Imposante. Magistrale. Dévorante . Avide .
Elle la hait soudain, brutalement, du fond de ses tripes. Elle va payer. (Xaxi, Sainte-Engrâce)
Elle va payer, cette garce, ton enfant, comme tu l'appelles, l'enfant que je ne t'ai pas donné, l'enfant que tu as créé, seul, en multipliant les bouturages, les drageonnages, les écussonnages, tous ces mots barbares, obscènes, que j'ai tant haïs, qui m'ont humiliée pendant des années, qui m'ont blessée plus sûrement que si tu m'avais mutilé le corps avec tes sécateurs et tes cisailles, elle va payer, ce monstre à qui tu as prodigué un amour et des soins de mère, des attentions et des gestes d'amant, m'excluant de votre univers, ton bureau, ce tombeau où je rêve chaque jour de te retrouver étouffé, étranglé, dans une étreinte mortelle de celle qui t'a vampirisé, qui m'a néantisée, celle qui a droit à tous tes égards, toutes tes folies, température, hygrométrie, lumière, musique, sans oublier les engrais made in U.S.A., les oligoéléments de luxe et autres nutriments, et ta dernière folie, ta dernière création, ce clone parfait que tu as mis des mois à réaliser et que tu as installé dans ta salle de classe en septembre, sa fille, comme tu l'appelles, non, c'en est trop, Jean-Marie.
La haine, la souffrance, suffoquent Anne-Sophie. Elle doit s'asseoir. Penchée en avant, les bras croisés sur son ventre douloureux, elle prend conscience de l'absence du vieux cartable de cuir. (Micky, Bbzx)
Chapitre 4
Son vieux cartable ! Parti au travail .. Un jour de vacances ... Il va falloir attendre ... que j'en finisse avec ça ...pense-t-elle. Cette mission, elle y pense chaque jour, elle ne peut plus souffrir ... (Emma 3C)
Un voile noir voile soudain ses yeux et une houle de peur la submerge. (Sylvie)
Elle redoute la nuit. Le moment où son subconscient reprend le dessus. Haine et appréhension guettent ses nuits, si mystérieuses, si agitées . (Clémence 3C )
Il faut qu'elle se calme et reprenne ses esprits. Mais sa souffrance est trop forte et la haine la reprend de plus belle. (Emeline et Aurélie 3C) .
Elle se relève péniblement et avance, écrasée par la chaleur, doucement, jusqu'au bureau. (Stanislas 3C) . Dessus est posée une trousse violette qu'elle a eu la malchance de lui offrir. Curieuse et agressive, la femme ouvre d'un coup sec la fermeture. A l'intérieur se trouvent des crayons , une gomme, un compas et un cutter. Elle prend les deux objets les plus dangereux . Et, doucement, elle s'approche de la plante, plante la pointe de son compas .... (Sarah et Coralie 3C) .
Elle croit entendre un long feulement, un cri d'animal blessé qui vrille dans ses tympans
Un coup, un autre, encore et encore ... Compas et cutter s'animent soudain conduits par sa main vengeresse et s'acharnent , méthodiquement, une feuille après l'autre, une tige après l'autre . Elle se rend sourde aux cris de souffrance qu'elle perçoit. Elle hurle intérieurement sa rage, son désepoir, sa jalousie . La sève coule, blanche, lumineuse, accusatrice puis teintée de rose étrangement . (Sylvie)
Pourquoi a-t-elle si mal ? (Lucas 3C)
Chapitre 5
La plante regarde cette femme, La femme, celle que son père, son amant a toujours aimée. Elle regarde cette rivale échevelée qui n'a plus rien de désirable ni d'humain, hurlante et bavante, recroquevillée au sol auprès de son auriculaire sanguinolent . Il est temps d'en finir. Lentement, froidement, la plante fait glisser une de ses branches derrière l'armoire et se rapproche du cou d'Anne Sophie, s'enroule autour de son bras ... (Sylvie et Sacha 3C) ... remonte doucement, on dirait une caresse, jusqu'à l'épaule nue, jusqu'au cou vulnérable, l'enlace avec tendresse, on dirait une parure. Boa végétal... (Micheline, Bbzx)
Jean-Marie est là, sur le seuil de ce bureau où elle a osé entrer...les mains boursouflées, tachées de cette sève urticante qu'il a prélevée avec soin; il savait bien que le poison et la haine coulaient dans ses tiges, nourrissaient ses feuilles, gonflaient ses bourgeons , autant de pustules qui lui ont éclaté au visage lorsqu'il l'a saignée ; a-t-il peur de sa vengeance maintenant? (Annie, Angoulême)
Au seuil de la porte, il blêmit, non plus de peur, de rage ou de désespoir ... C'est un vide soudain qui l'envahit à la vue de ces deux êtres figés dans un enlacement morbide . Il les a aimées l'une après l'autre, à la folie, plus que lui-même et peu à peu elles lui ont échappé . Quand ? Pourquoi ? Il n'a rien vu venir.
Il aurait aimé les garder pour lui seul dans son univers étriqué mais elles avaient des envies d'indépendance, des désirs de bonheur, de fuite vers d'autres espaces plus clairs, moins ordonnés et méticuleux . Elles se ressemblaient, sans le savoir.
Il n'a plus besoin de se venger ... Elles l'ont eu, toutes les trois. Battu à plate couture .
Il reste. Seul. (Sylvie. Bbzx)