Abdelkader Djemaï, l'artisan des mots

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Ce texte relate une expérience d'écriture menée par Abdelkader Djemaï au lycée Jeanne d'Arc à Nancy pendant l'année scolaire 2000/2001. Merci à Catherine Debras de partager ainsi son expérience. Si vous voulez lire l'intégralité du récit, rendez-vous sur le site de l'Académie de Nancy puis optez pour le lycée Jeanne d'Arc!

 

" Premier contact avec les élèves. (24 novembre 2000)

Au jour et à l'heure prévus, j'ai quelques difficultés à trouver "mon écrivain " (comme le disent certains collègues) : il n'est pas devant le portail du lycée,pas davantage en salle des professeurs... La concierge m'avertit qu'il est parti dans le couloir, coté élèves. Effectivement, je le retrouve au milieu d'un petit groupe de 1L3 : " On a déjà fait connaissance, m'dame ! " Et Bettina me raconte qu'un de ses copains a pris M. Djemaï pour son père !

En classe, l'écrivain prend place et se présente en donnant la signification de son nom : Abdelkader signifie "fils du destin ", Djemaï "le rassembleur " :

Vaste programme ! Né à Oran dans une famille très modeste, ses parents sont analphabètes. Il rappelle aux élèves que le français n'est pas sa langue maternelle (c'est l'arabe dialectal qui était parlé dans sa famille) et qu'il apprend à l'école, ainsi que ses contemporains de métropole, la fameuse leçon d'histoire : " Nos ancêtres, les gauloisÉ "

Comment alors en est il venu à l'écriture ? Par un fait de hasard, dit-ilÉ A dix ans, déjà fervent lecteur de BD, (comme nombre de ses auditeurs attentifs!), il emprunte à l'école un livre de la bibliothèque verte. Dans un passage de celui-ci, le professeur d'une école de parachutisme explique à son auditoire le fonctionnement d'un parachute. Il demande si quelqu'un a une question à poser. Un cancre demande : "On t'en donnera un autre ! " Djemaï explique alors combien il s'était senti intelligent en comprenant cette plaisanterie et comment il décida alors d'écrire lui aussi des livres.

Ayant apporté avec lui ses Ïuvres et les publications auxquelles il a collaboré, l'écrivain les montre aux élèves en les présentant dans leur diversité et sans les hiérarchiser : certains de ses romans, sont deux, Un été de cendres et 31, rue de l'aigle, sont parus en Folio, des nouvelles : Dites leur de me laisser passer, son dernier ouvrage paru, des nouvelles insérées dans des recueils collectifs : Ola (sur le football, à l'occasion de la coupe du monde), Dernières nouvelles de la terre (sur la nature, à l'occasion du festival de géographie de Saint-Dié), les livres produits lors d'ateliers d'écriture, avec des enseignements et directeurs d'école en retraite (7 nouvelles écrites avec les mêmes éléments : un chat, un corbillard, un mort), avec une classe de CE2/CM1 qui a interviewé des personnages âgées ayant connu l'occupation allemande...

Un dialogue fructueux

Les élèves, assez intimidés, hésitent à poser des questions, mais M. Djemaï les y encourage vivement. Finalement, Malika se lance :

- Comment vous vient l'envie d'écrire ?

M. Djemaï répond qu'il écrit qu'il écrit lorsqu'il en sent le besoin, ne s'astreignant jamais à des horaires fixes. Par associations d'idées, il en vient à parler de sa formation : Journaliste pendant 30 ans, il appris l'urgence (le journaliste étant pressé par l'obligation de fournir ses articles pour les deux éditions du matin et du soir), et la contrainte absolue de la sobriété stylistique : dessiner une silhouette, faire parler des personnes, évoquer une situation en une poignée de mots. Ce métier lui a également enseigné le contact avec le terrain et il s'est frotté à des milieux divers aussi bien géographiquement que socialement. Finalement, il a appris à "ouvrir ses yeux et ses oreilles ".

- Ecrivez-vous en pensant aux autres ?

Selon M. Djemaï, l'écrivain se définit comme celui qui est seul au milieu des autres. L'art naît de cette solitude et les sources de l'écriture sont avant tout pour lui autobiographiques. Tout est dans l'enfance. Ainsi, il adorait son grand-père qu'il a peu connu et celui ci se retrouve dans tous ses romans sous des personnages différents, pour que le lecteur ne s'en lasse pas. Ecrire, c'est remonter vers soi même, en amont.

- Quand vous étiez journaliste et avant même de l'être, écriviez vous déjà de la fiction ?

A l'âge de 14 -15 ans, M. Djemaï lisait dans le journal local : la République, la page pour les jeunes du jeudi. Il envoya un conte dans l'espoir de le voir publiéÉ Après d'interminables semaines d'attente, il trouva son conte édité ! Dés l'âge de 10 ans, il eut le projet d'écrire un roman. Mais plus tard, il réalisa que le plus était d'écrire le deuxième et de soutenir un rythme de publication.

Il écrit actuellement un roman qu'il porte en lui depuis vingt ans, à partir d'une expérience d'enfance, alors qu'il passait ses vacances dans un camping au bord de la Méditerranée. Cette si longue genèse s'explique par un difficile choix d'écriture : Ce récit devait il se faire à la première ou à la troisième personne ? Le choix de la première personne ne s'est imposé que récemment à lui.

- Comment parvenez vous à commencer un roman ou une nouvelle ?

Djemaï cite Hugo : " Il faut écrire avec ses oreilles " et Flaubert, qui, à Croisset, utilisait l'allée d'arbres de son jardin comme un studio naturel pour "gueuler " son texte et en vérifier la musicalité. Appartenant à une culture de tradition orale, il est particulièrement sensible à la musicalité des mots, au rythme, au ton. L'essentiel est donc pour lui de trouver le ton et la couleur de la phrase, après, il peut poursuivre.

Il lit ainsi aux élèves le début d'Un été de cendres, de 31, rue de l'aigle, de sa nouvelle : "La fugue ", de son manuscrit (ainsi révélé aux élèves en cours d'écriture, avant sa publication!) provisoirement intitulé Camping. Il fait ainsi sentir aux élèves la différence des tons en fonction des narrateurs et la difficulté de trouver une parole authentique

- Comment poursuivez vous ?

Au début existe seulement un noyau d'histoire. Le reste est à découvrir, ce qui est toujours aventureux. On peut commencer un roman par n'importe quel sens. Il faut s'y prendre comme dans une forêt, le hasard peut jouer son rôle, la progression même du texte peut obliger à aller dans une direction. Il faut ensuite alimenter l'histoire (cela peut se faire par une documentation digérée et traduite en écriture, comme pour 31, rue de l'aigle pour lequel l'auteur a lu 50 livres sur les plantesÉ), la construire. L'écrivain est un artisan, à la fois architecte et terrassier. Il écrit avec toute sa personne : sa tête, sa main, son cÏur. C'est un apprentissage toujours renouvelé. Djemaï cite Queneau : "c'est en écrivant qu'on devient écriveron ". Le roman n'est pas un objet parfait, il doit avoir d'ailleurs une maladresse. D'autre part, un texte n'est jamais achevé. Les écrivains pourraient sans cesse retravailler leurs livres.

- Comment trouvez vous le titre de vos livres ?

Le titre n'est pas facile à trouver, il doit être incitatif, et ne pas avoir été utilisé par un autre écrivain. Souvent, il est trouvé en collaboration avec l'éditeur.

- Pourquoi par exemple le titre : 31, rue de l'aigle ?

L'aigle est le symbole du personnage inquiétant qu'est le héros du roman et qui surveille tout le monde. Le 31 est le numéro de la maison où réside M. Djemaï à Aubervilliers!

 

 Merci à Catherine Debras pour sa collaboration!

 

 

 

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