Le bruit de l’ouvre- boîte grince sur le fer. J’ai tellement envie de voir la cuisine, le jour... Ce n’est pas très agréable d’être enfermé pendant un an, deux mois et trois jours ; je le sais, j’ai un calendrier.
Nous sommes tout émoustillés de tomber dans la poêle chaude et l’huile frétillante. La conserve se renverse dans l’égouttoir pour vider le jus, je me sens tout nu sans mon eau. L’anglaise nous laisse quelques minutes dans la passoire, puis elle attrape Ghislaine une copine à moi et la croque toute crue. Elle nous jette dans l’huile froide et nous en sort très vite. Je suis déçu et même pas cuit. Ensuite elle nous sort du feu et nous dispose dans des assiettes.
Une fourchette arrive à moi, et me pique pour me mettre dans une bouche. Pendant de longues minutes on me mastique, il y a des cris affreux. Nous descendons dans l’intestin et soudain, une étrange sensation me parvient : j’entends le jeune garçon qui m’a ingurgité si violemment, tousser, tousser. Sacrebleu!! Nous sommes en train de remonter ... oh pitié il ne va pas vomir ! mais si!
Nous sommes si peu cuits que nous sommes indigestes. Moi et une dizaine de mes congénères nous nous regardons l’air perplexe. C'est sûr, nous allons remonter dans le ferry ... je suis terrifié pourquoi ça m’arrive à moi ? J ’aurais préféré être rejeté en France, voir la tour Eiffel . Si ça se trouve, je vais voir la mer ...
Des bouts de pommes de terres crues nous rejoignent pour notre grand voyage. Nous passons le premier virage de l'intestin, nous remontons à une rapidité inquiétante, droite, gauche, droite, gauche, les virages s'enchaînent, je commence moi aussi à avoir la nausée . Je me rapproche de la bouche, c'est parti tout le monde dessend, nous jaillissons de la gorge tel un geyser! Le temps de voir le soleil et hop, plongeon dans la mer, à moi les grands espaces et l'aventure ! Mon petit coeur de pois me crie: vive les Anglais et leur mauvaise cuisine !
Un bruit sourd me parvient, je devine très vite que c’est le bruit du placard qui s’ouvre. Je l’entends si souvent que je n’espère même plus me retrouver dans une assiette. Mais cette fois-ci je sens comme une nausée... mais oui elle a pris ma boîte, ma boite de petits pois, on va enfin être mangés ! 